La CEDH vient de rendre un arrêt particulièrement intéressant concernant la conformité de la jurisprudence sur les biens de retour à l’article 1er du Protocole additionnel 1 relatif à la protection de la propriété.
En l’espèce, une société a exploité commercialement des équipements de remontées mécaniques pendant plusieurs décennies à Sauze, commune des Alpes-de-Haute-Provence. Lors de l’entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne, les remontées mécaniques sont alors devenues un service public à la charge des communes, de leurs groupements ou des départements. Cette législation prévoyait une période de transition globale de quatorze ans entre l’ancien système de droit privé et le nouveau régime de droit public.
Une convention de DSP a donc été conclue entre les parties en 1998 pour une durée de 14 ans, puis prolongée de deux ans.
A l’issue de cette durée, la collectivité a décidé de reprendre l’exploitation des remontées mécaniques, avec pour conséquence le transfert des équipements nécessaires au service public en application de la règle des biens de retour. Une délibération fut prise afin de fixer l’indemnisation de la société à hauteur de 2 millions d’euros.
Cette délibération a fait l’objet d’un déféré préfectoral. Le Préfet estimait, en effet, que l’indemnisation du cocontractant était contraire à la jurisprudence des « biens de retour » (CE, 21 décembre 2012, n°342788) selon laquelle les biens meubles ou immeubles nécessaires au fonctionnement du service public reviennent obligatoirement à l’autorité concédante en fin de contrat. Ce retour se fait à titre gratuit sauf si l’intégralité des biens n’a pas été amortie à la fin de la concession. Il découle de ces éléments que la personne publique est propriétaire desdits biens dès leur affectation au service public.
Dans le cadre du présent litige, le Conseil d’Etat (CE, 29 juin 2018, n°402251) avait indiqué que la théorie des biens de retour s’applique aussi lorsque les biens sont nécessaires au fonctionnement du service public même s’ils ont été acquis par le concessionnaire avant la signature du contrat. Il affirme que le transfert de propriété a eu lieu dès la signature de la convention de délégation de service public et que, partant, la règle des biens de retour trouve à s’appliquer : la communauté de commune ne pouvait approuver le protocole d’accord entre les parties y dérogeant.
Contestant cette appréciation, la société a saisi la CEDH qui ne se prononce pas sur le fait de savoir si la situation constitue une privation de propriété ou une ingérence dans le droit de propriété.
Néanmoins, la CEDH précise qu’une telle ingérence est légale lorsque les conditions suivantes sont réunies :
- elle repose sur une base légale (i),
- elle poursuite un intérêt public légitime (ii)
- elle doit être raisonnablement proportionnée du but poursuivi (iii).
La CEDH conclut, en l’espèce, que la société requérante pu bénéficier du régime transitoire prévu par la loi (i) pendant quatorze années, signant une concession de délégation de service public.
Elle a donc continué à exploiter les remontées mécaniques pendant quinze années supplémentaires.
Ensuite, la théorie des biens de retour a été mise en œuvre afin de permettre la continuité du service (ii).
Enfin, il n’est pas contesté que les équipements étaient amortis en totalité à la fin de la concession et, si tel n’était pas le cas, la requérante pouvait saisir le juge du contrat d’une demande spécifique (iii).
Pierre-Alain Mogenier
Avocat au Barreau de Lyon