Mes différentes expériences professionnelles m’ont permis de constater qu’un grand nombre d’architectes n’avaient pas conscience de ce que leurs plans ou les constructions qui bénéficient d’une protection légale. Par conséquent, copier de telles œuvres est susceptible d’engager la responsabilité civile et pénale de l’auteur de la copie (en l’espèce appelée plagiat ou contrefaçon).
Aux titres des dispositions de l’article L.112-2 IV. du code de la propriété intellectuelle (ci-après « CPI »), les œuvres architecturales sont considérées comme des « œuvres de l’esprit » et bénéficient à ce titre d’une protection équivalente aux autres œuvres telles que les livres, les compositions musicales ou cinématographiques.
Au final, il s’agira de déterminer si l’œuvre présentée est susceptible d’être considérée comme originale afin de conférer à son auteur les droits prévus par le CPI :
« L’auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son œuvre.
Ce droit est attaché à sa personne.
Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
Il est transmissible à cause de mort aux héritiers de l’auteur.
L’exercice peut être conféré à un tiers en vertu de dispositions testamentaires ».
Cette question est particulièrement ambiguë dans le cas de la commande publique, puisque l’acheteur public définit a priori ses besoins et dispose donc d’un pouvoir de direction dont les architectes ne peuvent s’émanciper facilement.
- Reconnaissance du droit moral
La jurisprudence a dégagé, au fil du temps, un certain nombre d’œuvres d’architecture qui sont susceptibles d’être couvertes par le droit moral de l’architecte. Ces œuvres ne sont protégeables que si elles sont séparables de leur effet « utilitaire ». Ainsi ne seront pas protégeables des plans topographiques, des croquis réalisés avec des consignes précises, la simple amélioration esthétique de plans préexistants.
Ainsi, les œuvres qui ne comportent pas « l’esprit ou la vision » de l’architecte ne pourront faire l’objet d’une quelconque protection au regard du CPI.
Pour obtenir cette protection, il faudra donc que les œuvres de l’architecte soient réellement originales afin que le juge puisse lui reconnaitre cette protection. Lorsque le juge se trouve saisit d’un contentieux, il va systématiquement se référer à cette notion d’originalité. S’agissant d’une appréciation du juge, l’effort de l’architecte et de son conseil sera donc de démontrer en quoi son œuvre est différente des autres et ne constitue pas une œuvre purement utilitaire.
A cet effet, ont été considérées comme des œuvres originales :
- Une construction immobilière en raison de la combinaison harmonieuse des éléments qui la composent .
- Un aménagement intérieur que l’auteur a marqué de son empreinte par la combinaison de différents éléments.
- Des modèles réduits et des copies d’œuvres.
- Un immeuble d’habitation qui présente une certaine originalité.
- Des travaux réalisés sur un bâtiment.
De fait, que ce soit l’architecture classique ou l’aménagement d’intérieur, le caractère d’originalité d’une œuvre peut donc être reconnue, et donc faire bénéficier à son auteur de la protection prévue.
- Application à la commande publique
Les architectes sont de plus en plus souvent amenés à traiter avec un acheteur public afin de réaliser des prestations de maîtrise d’œuvre. La loi sur l’architecture prohibant la sous-traitance entre architectes, ces derniers se retrouvent bien souvent confronter à des difficultés avec ce type de commanditaire.
En effet, la particularité des acheteurs publics est que la définition des besoins constitue un préalable obligatoire à une procédure d’appels d’offres. De fait, dans le cadre de la rédaction du cahier des charges, l’acheteur public aura tendance à définir strictement ce qu’il attend de son architecte. Il ne laissera donc pas forcément la possibilité à ce dernier la possibilité d’exprimer sa créativité. L’originalité étant sacrifiée sur l’autel du pragmatisme de l’administration.
En outre, dans le cadre des procédures d’appels d’offres, l’architecte se trouve soumis à un certain nombre de documents dont le cahier des clauses administratives générales (ci-après CCAG). Plus particulièrement, il sera appliqué le CCAG dit « propriété intellectuelle qui s’applique :
« aux marchés comportant une part importante de services faisant appel exclusivement à des activités de l’esprit. Il peut s’agir notamment de prestations d’étude, de réflexion, de conception, de conseil, d’expertise ou de maîtrise d’œuvre. Les domaines d’application de ces services sont par nature très divers ».
Dans le cadre de ces appels d’offres, l’architecte pourra être amené à céder un certain nombre de droits dont il dispose sur son œuvre. Il s’agit de ses droits patrimoniaux (droit de reproduction), ses droits moraux sont par nature incessibles.
En effet, l’article 25 du CCAG traitre des « résultats » qui sont obtenus lors du marché de maîtrise d’œuvre :
« Les « résultats » désignent tous les éléments, quels qu’en soient la forme, la nature et le support, qui résultent de l’exécution des prestations objet du marché, tels que, notamment, les œuvres, les logiciels, leurs mises à jour ou leurs nouvelles versions, les bases de données, les signes distinctifs, les noms de domaine, les informations, les sites internet, les rapports, les études, les marques, les dessins ou modèles, les inventions brevetables ou non au sens du code de la propriété intellectuelle, et plus généralement tous les éléments protégés ou non par des droits de propriété intellectuelle ou par tout autre mode de protection, tels que le savoir-faire, le secret des affaires, le droit à l’image des biens ou des personnes. »
L’acheteur, lors de la rédaction de son marché, aura alors le choix entre deux options.
- L’option dite A permet à l’architecte de revendre ses plans à un tiers, à la condition que cette exploitation commerciale « ne porte pas atteinte aux droits ou à l’image du pouvoir adjudicateur » et sous réserve de l’autorisation de ce dernier si les plans reprennent des connaissances antérieures.
- L’option dite B par laquelle l’architecte cède à l’acheteur public, à titre exclusif, l’ensemble de ses droits sur permettant au pouvoir adjudicateur de les exploiter librement, y compris à des fins commerciales, pour les destinations précisées dans les documents particuliers du marché. Sur ce point, il conviendra pour l’architecte, lors de la rédaction de son offre, de prendre en compte cette cession à titre exclusive dans son prix.
Au regard de cet article, l’on pourrait croire que le CCAG-PI empêche l’architecte de demander à l’acheteur public le respect de son œuvre puisqu’il lui a cédé ses droits. Néanmoins, la jurisprudence a permis de dégager une certaine protection du droit de l’architecte auteur. En premier lieu, il peut demander à ce que son nom soit dûment mentionné sur l’œuvre.
En effet, tout acheteur public qu’il est, il ne peut modifier l’œuvre de l’architecte sans disposer de bonnes raisons. La modification de l’œuvre de l’architecte est susceptible d’être motivée lorsque :
- Ces modifications sont indispensables, compte tenu du principe d’adaptabilité du service public.
- La sécurité des usagers de l’immeuble est compromise.
- L’accessibilité de l’immeuble .
Force est donc de constater que l’acheteur public reste soumis à l’obligation de respecter le droit moral de l’architecte dès lors qu’il souhaite modifier son œuvre.
Enfin, sur ce point, nous conseillons aux acheteurs de recueillir l’avis de l’architecte auteur de l’œuvre avant toute modification de cette dernière et ce, afin d’éviter tout contentieux ultérieur.
- Sanctions de la méconnaissance de ce droit
A ce stade, il convient de distinguer deux cas que le Cabinet MOGENIER a eu souvent l’opportunité de rencontrer.
En premier lieu, lorsque les infractions au droit d’auteur de l’architecte résultent du comportement du cocontractant (A).
En second lieu, l’atteinte à ce droit d’auteur peut aussi être la conséquence du confrère (B).
- Le cocontractant en cause
Lorsque le faute résulte de l’action du cocontractant public ou privé, l’architecte qui souhaite faire valoir son droit moral sur son œuvre pourra alors saisir soit la juridiction judiciaire soit la juridiction administrative. Dans les deux cas, il s’agira de solliciter des dommages et intérêts et/ou la remise en état à l’originale de l’œuvre.
Ces procédures à l’encontre des cocontractants sont des procédures dites au fond qui nécessitent donc un certain temps de traitement par les juridictions. Eu égard à l’examen qui sera pratiqué par le juge sur le caractère original ou non l’œuvre, toute procédure dite d’urgence est à proscrire.
- Le confrère fautif
Dans certains dossiers, le Cabinet Mogenier a eu l’occasion de constater que les atteintes au droit moral de l’architecte pouvaient aussi provenir des confrères de l’architecte. A ce sujet, il convient de rappeler que le fait pour un architecte de reprendre les plans de son confrère sans son autorisation, donc en contravention de la protection de son droit moral constitue une infraction à l’article 24 du code de déontologie des architectes. En l’espèce, la loi considère qu’il s’agit d’un plagiat.
Si un tel plagiat a été constaté, l’architecte peut donc saisir son ordre afin de faire constater cette infraction au code de déontologie et demander aussi des dommages et intérêts à l’architecte fautif. L’ordre saisi statuera alors sur l’existence ou non d’une telle infraction et, pourra prononcer à l’encontre de l’indélicat une sanction disciplinaire allant du blâme à la radiation. Un appel de cette décision est possible devant le TGI compétent.
Enfin, en complément de voie de recours, il est aussi loisible à l’architecte léser de déposer une plainte auprès de la juridiction pénale pour les faits visés à l’article L.335-2 du CPI. Si, le tribunal correctionnel reconnait que le délit a été commis, l’architecte fautif s’expose alors à des peines de prison ainsi qu’à de très fortes amendes.
Si vous rencontrez un problème de ce type, le Cabinet MOGENIER se tient à votre disposition afin de vous conseiller et de vous accompagner dans les procédures décrites ci-dessus.