Le domaine juridique afférent aux aides d’État est en mutation constante. L’activité de la Commission européenne et des juridictions de l’Union atteste de cette affirmation. Institué par le traité CECA, l’octroi des aides d’État est passé d’une interdiction absolue en 1951, à un examen de compatibilité en 1957.
Les États membres et leurs démembrements ne cessent de tenter de trouver des parades afin de pouvoir octroyer des aides à leur économie, la pratique de la Commission a dû s’adapter à cette imagination sans limite.
Il n’existe pas de définition à proprement parlé de la notion d’aides d’État. La pratique décisionnelle de la Commission a quand même permis d’identifier un certain nombre de critères permettant d’identifier une telle aide.
Le TFUE rappelle à son article 107 la prohibition de principe qui est faite afin d’interdire les aides d’État :
« 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
2. Sont compatibles avec le marché intérieur:
a) les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, à condition qu’elles soient accordées sans discrimination liée à l’origine des produits,
b) les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires,
c) les aides octroyées à l’économie de certaines régions de la république fédérale d’Allemagne affectées par la division de l’Allemagne, dans la mesure où elles sont nécessaires pour compenser les désavantages économiques causés par cette division. Cinq ans après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Conseil, sur proposition de la Commission, peut adopter une décision abrogeant le présent point.
3. Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur:
a) les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi, ainsi que celui des régions visées à l’article 349, compte tenu de leur situation structurelle, économique et sociale,
b) les aides destinées à promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l’économie d’un État membre,
c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun,
d) les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges et de la concurrence dans l’Union dans une mesure contraire à l’intérêt commun,
e) les autres catégories d’aides déterminées par décision du Conseil sur proposition de la Commission. »
Il s’évince de cet article que le législateur européen a entendu aussi préciser quelles sont les aides d’État qui sont automatiquement compatibles avec le droit de l’Union et celles qui sont susceptibles de l’être.
Les articles 108 et 109 précisent d’une part quel est le régime procédural en vigueur et ce, en liaison avec le règlement européen du 22 mars 1999. D’autre part, l’article 109 autorise le Conseil à prendre, à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement, tous règlements utiles en vue de l’application des dispositions des articles 107 et 108.
En outre, il est loisible de constater que quatre critères sont énoncés afin de reconnaitre une aide d’État :
– L’octroi d’une aide au moyen de ressources d’Etat
– Le caractère sélectif de cette aide
– L’affectation des échanges entre les Etats membres
– L’existence d’un avantage conféré à une entité
1) Une aide octroyée par le moyen de ressources d’État
La jurisprudence a permis de dégager que deux conditions cumulatives devaient être réunies pour que ce premier critère puisse être considéré comme rempli (CJCE, 16 mai 2002, République française c/ Commission, aff. C-482/99).
La première partie de ce raisonnement repose sur la démonstration que l’aide doit avoir été octroyée par l’État ou l’un de ses démembrements (TUE, 28 janvier 2016, Slovénie c/ Commission, aff. T-507/12) ou par d’autres organismes publics ou privés qui se voient confier une mission de service public.
De fait, la jurisprudence a étendu cette notion :
– A l’État (TPICE, 12 décembre 1996, Air France c/ Commission, aff. T-358/94).
– Aux collectivités territoriales (CJCE, 14 octobre 1987, Allemagne c/ Commission, aff. C-248/84)
– Aux établissements publics (CJCE, 11 juillet 1996, SFEI c/ La Poste, aff. C-39/94)
– Aux personnes publiques ou privées, qui peuvent être spécialement institués ou simplement habilités pour la gestion de l’aide (CJCE, 22 mars 1977, Steinike, aff. 78/76)
En revanche lorsqu’un État se contente de transposer une directive ayant pour effet d’octroyer un avantage à des entités économiques, cela ne pourra être considéré comme relevant de la réglementation des aides d’État (CJCE, 13 octobre 1982, Norddeutsches Vieh – und Fleischkontor, aff.213/81 à 215/81)
Afin d’identifier l’imputabilité de l’aide à l’État ou à un de ses démembrements la Commission va raisonner selon le principe du faisceau d’indices (TUE, 10 novembre 2011, Elliniki Nafpigokataskevastiki c/ Commission, aff.T-348/08).
La seconde partie de ce raisonnement énonce que cette aide doit avoir été octroyée au moyen de ressources d’État. De fait, afin de constater si cette condition est remplie, la Commission va tenter de démontrer que les finances publiques de l’État en cause ont été sollicitées (CJCE, 17 mars 1993, Firma Sloman Neptun, aff.C-72). Cette aide peut bien entendu prendre la forme de dépenses mais aussi d’allégement de charges, d’abattement d’imposition (CJCE, 2 juillet 1974, Italie c/ Commission, aff.173/73, pt 33), l’octroi d’une garantie (TPICE, 13 juin 2000, EPAC c/ Commission, aff.T-204/97) ou encore le renoncement de l’État à une ressource (CJCE, 16 mai 2000, France c/ Ladbroke Racing et Commission, aff.C-83/98).
2) L’octroi d’un avantage sélectif
Le second critère posé énonce que l’aide doit conférer un avantage sélectif au bénéficiaire de cette dernière. C’est-à-dire qu’elle doit bénéficier qu’à un certain nombre d’entreprises clairement identifiables, par rapport à d’autres qui se situent dans une situation comparable.
Cela permet donc de distinguer les aides à caractère général et celles qui ne concernent qu’une partie des acteurs économiques (CJCE, 15 décembre 2005, Unicredito italiano, aff. C-148/04).
Que la mesure soit de caractère positive comme le paiement d’une subvention, l’octroi d’un prêt à des conditions avantageuses… ou de nature négative comme une exonération de taxes ou d’impôts, l’abandon d’une créance… la mesure doit nécessairement constituer un soutien pour l’entreprise.
Il s’agit donc de déterminer si :
i) La mesure bénéficie-t-elle à des entreprises particulières ou des secteurs particuliers
ii) L’autorité qui a octroyé l’aide a-t-elle usé de son pouvoir discrétionnaire
iii) La mesure en cause déroge au droit commun
Si la réponse est oui à l’ensemble de ces questions, le critère de sélectivité sera alors rempli.
Ainsi, la jurisprudence a considéré que ce critère était rempli lorsqu’une mesure fiscale qui ne comporte aucun transfert de ressource de l’État mais place l’entreprise bénéficiaire dans une situation plus favorable que les autres entreprises du secteur (CJCE, 15 décembre 2005, Italie c/ Commission, aff. C-66/02).
3) L’affectation des échanges entre les Etats membres
A ce stade, le troisième critère de l’identification de l’existence d’une aide d’Eta t consistera à démontrer que l’aide en cause affecte ou est susceptible (TUE, 30 janvier 2012, Keller et Keller Meccanica c/ Commission, aff. T-35/99) d’affecter les échanges entre les Etats membres.
Depuis l’arrêt Commission c/ Italie du 19 octobre 2000, la Commission doit déterminer quels sont les secteurs ou les activités qui sont susceptibles d’être affectées par l’aide. Si cette obligation constitue une avancée au regard du régime antérieur, il ne s’agit pas pour autant de mener une analyse approfondie et préalable du marché (TUE, 8 janvier 2015, Club hôtel Loutaki c/ Commission, aff. T-58/13).
De manière générale, les juges européens considèrent que si les deux premiers critères sont remplis, ce troisième critère le sera tout autant. En effet, il ressort de la jurisprudence de l’Union que l’octroi d’aide sur des fonds publics conduira nécessairement à affecter les échanges entre les Etats membres. Peu importe sur ce point que l’entreprise bénéficiaire soit présente uniquement sur le marché national (CJCE, 21 mars 1990, Belgique c/ Commission, aff. C-142/87).
Toutefois, dans deux situations, la Commission considérera que les échanges ne sont pas affectés. D’une part, si les aides sont inférieures à 200.000 euros sur trois ans, elles relèveront de la catégorie des aides de minimis, qui ne sont pas susceptibles d’entrainer des distorsions de concurrence. D’autre part, la Commission a jugé que les aides qui portent sur le financement de biens au bénéfice d’un public uniquement local n’est pas susceptible d’affecter la concurrence. Il en est ainsi pour le financement d’infrastructures de loisirs dont les bénéficiaires sont locaux.
4) L’existence d’un avantage conféré à une entité
Si ce critère peut paraitre facile à identifier, la Commission a jugé que dans au moins deux cas, le versement de sommes publiques n’est pas susceptible de conférer un avantage aux entreprises bénéficiaires.
En premier lieu, il s’agit du capitalisme d’Etat ou plus simplement de la volonté de l’Etat d’investir dans des secteurs de l’économie, ainsi que le ferait « tout investisseur privé agissant en économie de marché ». Dans ce cas, l’Etat se comporte comme un actionnaire lambda et attend en conséquence un retour sur son investissement.
En second lieu, la Commission a pris aussi soin d’écarter du mécanisme des aides d’Etat les sommes versées à des entreprises en contrepartie de charges qui sont imposées par l’Etat. Il s’agit des obligations de services publics qui sont des charges qu’un Etat souhaite faire peser sur une entreprise dans un domaine peu ou pas rentable. En échange de ces charges, l’Etat va octroyer un financement à l’entreprise dont le calcul a été fixé par la célèbre jurisprudence Altmark.
De fait, l’existence de ces mécanisme a eu pour effet de complexifier la tache de la Commission pour identifier et isoler l’existence d’un tel avantage (TUE, 11 septembre 2014, République hellénique c/ Commission, aff. T-425/11).
Dorénavant, depuis l’arrêt du Tribunal du 14 juillet 2016, Deutsche Post RFA c/ Commission, la Commission doit procéder à une démonstration en deux temps. Tout d’abord, elle doit démontrer qu’il existe bien un avantage économique en identifiant bien lesdits avantages consentis à l’entreprise, la Commission ne pouvant désormais plus se contenter d’un examen prima facie. Ensuite, la Commission doit aussi isoler en quoi cette mesure est susceptible de bénéficier à certaines entreprises et non à d’autres. En creux, les juges de l’Union exige que la Commission ne se méprenne pas sur d’éventuelles compensations issues de charges imposées aux entreprises.
On l’aura donc compris, le juge de l’Union a considérablement renforcé son contrôle sur les analyses menées par la Commission européenne sur ce qui peut s’apparenter prima facie comme une aide d’Etat.