Appels à projets et contrats publics
L’analyse des appels à projet en tant que contrat public révèle une pluralité de régimes juridiques, une diversité de pratiques administratives et une jurisprudence abondante, notamment en matière d’accès aux documents et de protection du secret des affaires.
Les appels à projet, bien qu’ils ne constituent pas toujours des contrats publics au sens strict, s’inscrivent dans une dynamique de mise en concurrence et de sélection préalable à la conclusion de conventions ou à l’attribution d’aides publiques.
Cette réponse propose une synthèse approfondie du cadre légal, des spécificités procédurales et des enseignements jurisprudentiels relatifs aux appels à projet, en s’appuyant exclusivement sur les textes et décisions fournis.
Définition et fondements juridiques des appels à projet
Les appels à projet ne sont pas, en droit français, une procédure formalisée et encadrée par le législateur ou le pouvoir réglementaire à l’instar des marchés publics ou des concessions.
Ils relèvent d’une démarche de consultation préparatoire, définie par la collectivité publique, visant à sélectionner des projets avant la conclusion d’une convention, l’attribution d’une subvention ou la cession d’un bien. Cette absence de formalisation n’exclut pas l’application de principes généraux du droit administratif, notamment en matière de publicité, d’égalité de traitement et de transparence.
La jurisprudence rappelle de façon constante que l’appel à projet est une procédure de consultation préparatoire, distincte des procédures de la commande publique, mais qui peut être détachable de l’opération finale (vente, subvention, convention) et soumise à des obligations de publicité et de mise en concurrence.
Ainsi, la CADA précise que « l’appel à projets n’est pas une procédure formalisée définie et encadrée par le législateur ou le pouvoir réglementaire à l’instar des contrats de la commande publique mais une procédure de consultation préparatoire définie par la collectivité publique dans le but de sélectionner différents projets avant de conclure une convention de subventionnement ou d’attribuer une aide publique » (CADA, Avis du 27 septembre 2018, Mairie de Paris, n° 20182161 : « La commission rappelle que l’appel à projets n’est pas une procédure formalisée définie et encadrée par le législateur ou le pouvoir réglementaire à l’instar des contrats de la commande publique mais une procédure de consultation préparatoire définie par la collectivité publique dans le but de sélectionner différents projets avant de conclure une convention de subventionnement ou d’attribuer une aide publique. »).
Cette position est réitérée dans d’autres avis, qui insistent sur le caractère détachable de la procédure d’appel à projet par rapport à l’acte final, notamment en cas de cession de biens du domaine privé (CADA, Conseil du 9 mars 2017, Mairie de Scy-Chazelles, n° 20165820 : « La commission rappelle à titre préliminaire que l’appel à projets n’est pas une procédure formalisée définie et encadrée par le législateur ou le pouvoir réglementaire à l’instar des contrats de la commande publique mais une procédure de consultation préparatoire définie par la collectivité publique dans le but de sélectionner différents projets avant de conclure une convention de subventionnement ou d’attribuer une aide publique. »).
Appels à projet et contrats publics : articulation avec la commande publique
Si l’appel à projet n’est pas en soi un contrat public, il peut précéder la conclusion d’un contrat relevant du droit de la commande publique (marché public, concession, partenariat, etc.). Le Code de la commande publique, à travers l’Article L6 du Code de la commande publique, dispose que « S’ils sont conclus par des personnes morales de droit public, les contrats relevant du présent code sont des contrats administratifs, sous réserve de ceux mentionnés au livre V de la deuxième partie et au livre II de la troisième partie. Les contrats mentionnés dans ces livres, conclus par des personnes morales de droit public, peuvent être des contrats administratifs en raison de leur objet ou de leurs clauses. ».
Ainsi, lorsque l’appel à projet aboutit à la conclusion d’un marché public ou d’une concession, le contrat final relève du régime des contrats administratifs, avec toutes les conséquences qui en découlent (pouvoir de contrôle de l’autorité contractante, modification unilatérale, résiliation pour motif d’intérêt général, etc.).
La jurisprudence CADA confirme que les documents produits ou reçus dans le cadre d’une mission de service public, y compris lors d’un appel à candidatures préalable à la cession d’un terrain, relèvent du droit d’accès aux documents administratifs, dès lors qu’ils se rapportent à la mission de service public (CADA, Avis du 16 janvier 2014, Société locale d’équipement et d’aménagement de l’aire marseillaise (SOLEAM), n° 20134481 : « Dès lors les documents que ces sociétés produisent ou reçoivent sont, lorsqu’ils se rapportent à cette mission, des documents administratifs soumis au droit d’accès ouvert par le titre Ier de la loi du 17 juillet 1978. »).
Régime d’accès aux documents relatifs aux appels à projet
Le droit d’accès aux documents administratifs est un aspect central du régime juridique des appels à projet. Selon la jurisprudence, les documents relatifs à la procédure d’appel à projet constituent des documents administratifs soumis au droit d’accès, une fois la décision d’attribution prise ou lorsque l’autorité compétente a manifestement renoncé à la procédure. Ce droit bénéficie tant aux candidats non retenus qu’à toute personne qui en fait la demande.
La CADA précise que « les documents se rapportant à la procédure d’appel à projets constituent des documents administratifs soumis au droit d’accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration » (CADA, Avis du 8 février 2018, Conseil départemental de Maine-et-Loire, n° 20175339 : « La commission considère qu’une fois l’autorisation délivrée par l’autorité compétente, ou lorsque celle-ci a manifestement renoncé à mener à bien la procédure, les documents qui se rapportent à la procédure d’appel à projet constituent des documents administratifs, soumis au droit d’accès institué par le livre III du code des relations entre le public et l’administration. »).
Ce principe est également rappelé dans l’avis du 8 mars 2012, qui précise que « les documents qui se rapportent à la procédure d’appel à projet constituent des documents administratifs, soumis au droit d’accès institué par la loi du 17 juillet 1978 » (CADA, Conseil du 8 mars 2012, président du conseil général de Haute-Savoie, n° 20120845 : « La commission considère qu’une fois l’autorisation délivrée par l’autorité compétente, ou lorsque celle-ci a manifestement renoncé à mener à bien la procédure, les documents qui se rapportent à la procédure d’appel à projet constituent des documents administratifs, soumis au droit d’accès institué par la loi du 17 juillet 1978. »).
Limites au droit d’accès : secret des affaires et protection de la concurrence
Le droit d’accès aux documents relatifs aux appels à projet connaît des limites, principalement liées à la protection du secret des affaires, du secret industriel et commercial, et à la préservation de la concurrence. L’CADA, Avis du 4 mars 2021, Métropole du Grand Paris, n° 20210150 rappelle que « le droit de communication, dont bénéficient tant les candidats non retenus que toute autre personne qui en fait la demande, doit toutefois s’exercer dans le respect du secret des affaires protégé par les dispositions de l’article L311-6 du code des relations entre le public et l’administration. Sont notamment visées par cette réserve, les mentions relatives aux moyens techniques et humains, aux rapports d’évaluation, au chiffre d’affaires, aux bilans financiers et aux coordonnées bancaires du candidat. »
La jurisprudence précise que l’offre détaillée de l’organisme retenu est en principe communicable, alors que seules les orientations générales des candidats non retenus le sont. Les caractéristiques techniques détaillées et les données chiffrées avant agrégation doivent être occultées pour protéger le secret industriel et commercial (CADA, Conseil du 8 mars 2012, président du conseil général de Haute-Savoie, n° 20120845 : « En conséquence, les caractéristiques techniques détaillées et les données chiffrées avant agrégation doivent être occultées préalablement à toute communication des documents préparatoires à l’autorisation (procès-verbaux, rapport de la commission de sélection). »).
De même, la CADA considère que la communication des éléments financiers détaillés de l’offre retenue peut être refusée si elle risque de porter atteinte à la concurrence, non seulement pour le projet concerné mais aussi pour des appels à projet analogues susceptibles d’être organisés à brève échéance (CADA, Avis du 8 février 2018, Conseil départemental de Maine-et-Loire, n° 20175339 : « La commission estime par ailleurs que la communication des éléments financiers détaillés de l’offre retenue peut légalement être refusée, par exception à la règle générale de communicabilité de telles pièces, lorsque celle-ci risquerait de porter atteinte à la concurrence. »).
Caractère préparatoire des documents et moment de la communicabilité
Un autre aspect important concerne le caractère préparatoire des documents relatifs à l’appel à projet. Tant que la décision administrative n’est pas intervenue, ou que l’administration n’a pas manifestement renoncé à la procédure, les documents préparatoires sont provisoirement exclus du droit à la communication.
Toutefois, une fois la décision prise (choix de l’attributaire, délivrance de l’autorisation, etc.), le caractère préparatoire disparaît et les documents deviennent communicables (CADA, Conseil du 21 juillet 2017, Mairie de Villefranche-sur-Mer, n° 20171823 : « La commission indique, en premier lieu, que les documents préparatoires à une décision administrative sont en principe exclus provisoirement du droit à la communication aussi longtemps que cette décision n’est pas intervenue ou que l’administration n’y a pas manifestement renoncé, à l’expiration d’un délai raisonnable. Toutefois, lorsqu’un projet comporte des phases distinctes donnant lieu à l’édiction de plusieurs décisions successives, il importe d’identifier la nature des pièces dont le caractère préparatoire est levé par l’intervention de chacune de ces décisions. »).
Ce principe est également rappelé dans l’avis du 23 septembre 2021, qui précise que « les documents préparatoires à une décision administrative sont en principe exclus provisoirement du droit à la communication aussi longtemps que cette décision n’est pas intervenue ou que l’administration n’y a pas manifestement renoncé, à l’expiration d’un délai raisonnable » (CADA, Avis du 23 septembre 2021, Préfecture de la Seine-Saint-Denis, n° 20215024 :
« La commission rappelle, ensuite, que l’appel à projet n’est pas une procédure formalisée définie et encadrée par le législateur ou le pouvoir réglementaire à l’instar des contrats de la commande publique mais une procédure de consultation préparatoire définie par la collectivité publique dans le but de sélectionner différents projets préalablement à la vente d’un bien immobilier, à la conclusion d’une convention de subventionnement ou à l’attribution d’une aide publique.
Elle précise que les documents préparatoires à une décision aministrative sont en principe exclus provisoirement du droit à la communication aussi longtemps que cette décision n’est pas intervenue ou que l’administration n’y a pas manifestement renoncé, à l’expiration d’un délai raisonnable. »).
Spécificités sectorielles et articulation avec d’autres régimes
Certaines procédures d’appel à projet sont encadrées par des textes spécifiques, notamment dans le secteur social et médico-social. L’Article L313-1-1 du Code de l’action sociale et des familles dispose que « Sont soumis à autorisation des autorités compétentes en application de l’article L. 313-3 les projets, y compris expérimentaux, de création, de transformation et d’extension d’établissements ou de services sociaux et médico-sociaux relevant de l’article L. 312-1, les projets de lieux de vie et d’accueil ainsi que les projets de transformation d’établissements de santé mentionnés aux articles L. 6111-1 et L. 6111-2 du code de la santé publique en établissements ou services sociaux et médico-sociaux relevant de l’article L. 312-1 du présent code. Lorsque les projets font appel, partiellement ou intégralement, à des financements publics, ces autorités délivrent l’autorisation après avis d’une commission d’information et de sélection d’appel à projet social ou médico-social qui associe des représentants des usagers.« .
Dans ce cadre, la jurisprudence CADA rappelle que les documents relatifs à la procédure d’appel à projet sont soumis au droit d’accès, sous réserve du respect du secret industriel et commercial, et que les notes, classements et appréciations des candidats non retenus ne sont communicables qu’à l’intéressé lui-même (CADA, Avis du 8 février 2018, Conseil départemental de Maine-et-Loire, n° 20175339 et CADA, Conseil du 8 mars 2012, président du conseil général de Haute-Savoie, n° 20120845).
Conclusion
Les appels à projet, en tant que procédure de sélection préalable à la conclusion de contrats publics ou à l’attribution d’aides, occupent une place singulière dans le droit administratif français. Ils ne constituent pas en eux-mêmes des contrats publics, mais peuvent aboutir à la conclusion de tels contrats, soumis alors au régime de la commande publique. Les documents relatifs à la procédure d’appel à projet sont en principe communicables, sous réserve du respect du secret des affaires et du caractère préparatoire des documents. La jurisprudence, notamment celle de la CADA, a précisé les contours de ce régime, en insistant sur la nécessité de concilier transparence administrative et protection des intérêts économiques des candidats.